La faim dans le monde
- octobre 12, 2018
Une misère organisée, principale raison de la faim dans le monde
« C’est simpliste, mais c’est comme ça : si on n’a pas d’argent aujourd’hui, on meurt de faim, s’indigne Jean Ziegler, premier rapporteur spécial à l’ONU pour le droit à l’alimentation. Aujourd’hui, un enfant qui meurt de faim est un enfant assassiné. La faim tient du crime organisé. »
L’agriculture paysanne produit sur une partie très restreinte des sols. Aujourd’hui, ces petites exploitations familiales, qui nourrissent la très grande majorité de la planète, n’occupent que 12 % de la totalité des terres agricoles. Cette inégale répartition des terres est souvent un héritage de l’histoire, notamment de l’histoire coloniale. Aujourd’hui, ce problème perdure et parfois s’amplifie à cause de l’accaparement des terres. « Au moment de l’indépendance, les colons qui s’étaient approprié les terres ont transféré directement leurs droits fonciers aux États indépendants, analyse Clara Jamart, ancienne responsable de la sécurité alimentaire pour l’association Oxfam en France. Les populations n’ont jamais bénéficié de droits fonciers sur les terres qu’elles ont toujours exploitées. Les droits sont collectifs et coutumiers. Pour les investisseurs étrangers, il est donc facile d’acquérir ces terres. »
Les paysans chassés des terres se retrouvent souvent en ville, sans travail. En Afrique, la moitié des citadins vit déjà dans des bidonvilles. « Nous ne devons pas laisser se vider les campagnes, comme les pays européens l’ont fait, car ce serait se livrer, pieds et poings liés, à la domination de l’économie cruelle dirigée par les intérêts de firmes anonymes », écrit l’un des leaders du mouvement paysan d’Afrique de l’Ouest, Mamadou Cissokho.
Au Burkina Faso, 10 % des terres arables sont utilisées pour cultiver du coton exporté, alors que le nombre de sous-alimentés est encore élevé. Certes, des synergies peuvent exister entre les cultures de rente et les cultures vivrières, mais selon Pierre Rabhi, qui a travaillé pendant des années dans ce pays, la part consacrée à l’exportation est bien trop importante. Il ne conseille pas de supprimer toutes les cultures d’exportation, mais estime que les pays doivent assurer, avant tout, leur autonomie alimentaire « Nous voyons bien ce que les échanges internationaux donnent : ce sont les forts face aux plus faibles, déplore Pierre Rabhi, https ://www.pierrerabhi.org/ . Je pense que l’alimentation doit voyager au minimum, que les populations doivent l’assurer par elles-mêmes, avec leurs traditions et leurs habitudes alimentaires. Je l’ai constaté au Burkina Faso. Auparavant, les paysans assuraient leur survie avec leurs troupeaux, leur savoir-faire, leur culture. Par la suite, nous avons mobilisé cette paysannerie afin de produire pour l’exportation, à l’aide des pesticides et des engrais de synthèse. Tous ces éléments venus de l’extérieur ont complètement désorganisé la capacité des paysans à se nourrir par eux-mêmes. Ces agriculteurs ont été détournés de la production vivrière indispensable pour une production de rente où ils sont souvent perdants. C’était criminel. Dans ce mode de vie, l’argent n’est pas le fondement de la survie, mais c’est la production directe de denrées alimentaires qui est nécessaire à la survie. »
La spéculation, cause principale des émeutes de la faim
A la suite de la crise financière de 2008, les banques et les fonds d’investissement se sont intéressés aux terres agricoles. Les financiers qui se sont tournés en masse vers cette ressource ont eu un impact sur un autre point capital : le prix des matières premières. Les traders et autres opérateurs de marché ne se contentent pas d’acheter directement du blé ou de l’orge. Ils préfèrent acquérir des produits financiers complexes qui permettent de spéculer. Comprenez par là qu’ils parient, par exemple, sur la hausse ou la baisse du prix du blé ou du soja. Résultat : ils amplifient les fluctuations des prix et déconnectent les bourses de la réalité « C’est, par exemple, une entreprise spécialisée en haute technologie qui va déterminer ainsi le prix de la vache qui broute son herbe. Ce n’est pas le consommateur final ni le producteur, ça n’a absolument aucun sens, c’est ridicule !», affirme David Bicchetti, économiste.
L’agroécologie n’est pas l’agriculture traditionnelle
« Je m’oppose au fait que l’agroécologie soit un retour en arrière, explique Olivier De Schutter, ancien rapporteur à l’ONU pour le droit à l’alimentation. L’agroécologie est l’agriculture du xxie siècle. Nous faisons des erreurs dans la façon dont on la présente parfois. Il y a une idée très monolinéaire du progrès envisagé comme une mécanisation toujours plus poussée, une artificialisation plus grande, un contrôle de plus en plus concret des processus de production. Concevoir qu’il faut se mettre à l’écoute des processus naturels va à l’encontre de cette conception du progrès. »
L’agroécologie à l’épreuve des faits
« Dès mes premiers échanges avec Pierre Rabhi, je me suis rendu compte que l’agroécologie est une solution adaptée à la faim dans le monde. Je suis convaincu que l’agroécologie dans les petites exploitations va permettre de réduire le nombre de personnes souffrant de la faim, explique Benoît Ouedraogo, ancien directeur des centres de formation des jeunes agriculteurs au Burkina Faso. Avec l’agriculture conventionnelle, nous étions dans une assistance, une charité. L’approche de l’agroécologie est différente. Nous ne sommes plus infantilisés. L’agroécologie s’adapte à notre terre. Au Burkina Faso, les terres se dégradent, le désert avance. Ce modèle agricole est une réponse à ce problème. C’est également une réponse pour tous les autres pays du Sahel. Les habitudes ont commencé à changer. Au sein des organisations paysannes, nous retrouvons les mots “souveraineté alimentaire”. »
Sur le terrain, l’efficacité de l’agroécologie pour nourrir des personnes en grande difficulté ne fait plus débat, même pour des missions d’urgence « Ce n’est pas par militantisme, on n’est pas militants du bio. Au niveau agricole, c’est le plus rationnel et le plus efficace. Si on veut que ce soit durable, c’est logique. Un programme humanitaire pourrait acheter des engrais, mais, une fois qu’il serait amorti, il n’y aurait plus rien. Tout s’effondrerait, confie Yann Gourmelen, qui a travaillé pour plusieurs grandes associations telles qu’Action contre la faim ou Solidarités International. Ce que nous prônons dans une certaine agriculture biologique, c’est la diversité de cultures pour avoir moins de maladies. Si nous avons toujours une couverture végétale ou s’il y a des bois autour des champs avec des prédateurs, nous pouvons aussi diminuer les attaques de sauterelles ou d’autres insectes. »
Changer les mentalités et les idéologies
L’agriculture intensive promettait de belles réussites dans les années 1960. Certains ont été émerveillés, enthousiasmés par la technologie, la mécanique et surtout l’efficacité des pesticides et des engrais chimiques. Mais ce modèle agricole n’a pas permis de réduire le nombre de personnes souffrant de la faim, il a juste déplacé les problèmes. Certes, on ne manque plus de nourriture en Occident, bien au contraire ; mais ce système intensif a créé d’autres inégalités et a renforcé la pénurie d’aliments dans certaines zones.
Dans les années 1960, certains ont vraiment cru que ce modèle intensif et industriel allait régler tous les problèmes. Il a permis d’augmenter la productivité. À l’époque, difficile d’anticiper les effets néfastes de cette agriculture et du système commercial qu’elle impliquait. Aujourd’hui, presque plus personne ne conteste ses effets dramatiques. Mais les mentalités ont du mal à évoluer. Certains rechignent à remettre en cause un système auquel ils ont cru pendant des années.
« En Europe, l’agroécologie est parfois perçue comme une lubie de bobo. Mais, pour les petits paysans d’Afrique, elle réduit la dépendance et permet de produire à faible coût », souligne Olivier De Schutter.
2, 8 milliards d’enfants, de femmes et d’hommes souffrent d’un manque de nourriture ou de micronutriments, soit près 40 % de la population mondiale.
En 2011, 44 millions de personnes supplémentaires ont souffert de la faim, à cause de l’augmentation du prix des denrées alimentaires.
Dans les fermes de pays en développement où les paysans ont eu moins recours aux pesticides et ont mis en place des techniques issues de l’agroécologie, les rendements des cultures ont augmenté de 79 %.
Plus de 70 % des personnes ne mangeant pas à leur faim vivent dans des zones rurales.
En Haïti, les tarifs douaniers du riz ont chuté de 50 à 3 % dans les années 1990. Le riz américain subventionné a envahi l’île. Les importations de riz ont grimpé de 7 000 tonnes en 1985 à 424 517 tonnes de nos jours. Elles ont donc été multipliées par plus de 60 !
70 % des terres agricoles dans le monde sont consacrées à l’élevage et à la culture nécessaire pour nourrir les animaux.
Dans les zones semi-arides comme le Sahel, les pratiques agroécologiques sont précieuses. Elles permettent de multiplier de cinq à dix fois la capacité de rétention d’eau des sols.
L’agriculture familiale génère 80 % de la production alimentaire mondiale, alors qu’elle n’occupe que 12 % de la totalité des terres agricoles.
Évasion fiscale, falsification de la valeur des exportations et des importations, sociétés fictives, sous-évaluation des contrats miniers : l’Afrique perd chaque année 57 milliards d’euros, un montant bien supérieur à l’aide que ce continent reçoit des pays de l’OCDE.
35 % des céréales cultivées servent à nourrir les animaux.
Des files d’attente, des rayons vides au début du confinement, des craintes de pénurie : les secteurs agricoles et alimentaires sont cruciaux. Cette crise le prouve, encore une fois.
Une agriculture multifonctionnelle pour une alimentation saine
Enseignements d’une modélisation du système alimentaire européen
Xavier Poux (AScA, Iddri), Pierre-Marie Aubert (Iddri)
Avec les contributions de Jonathan Saulnier, Sarah Lumbroso (AScA), Sébastien
Treyer, William Loveluck, Élisabeth Hege, Marie-Hélène Schwoob (Iddri)
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A cause des terribles famines au Soudan du Sud, en Somalie, au Nigeria ou au Yémen, des reportages traitent de ce fléau souvent oublié.
Lire l’article sur le site Huffington Post