Vers un océan sans vie

L’océan, l’un des poumons de notre planète, est en danger. Lorsqu’on évoque les dégâts sur l’océan dus aux êtres humains, la première image qui vient à l’esprit est celle de ces milliards de déchets plastiques flottant à la surface, parce qu’ils sont les plus visibles. Ils ne devraient pourtant pas remettre en cause la survie humaine, contrairement au réchauffement et à l’acidification de l’océan. Des phénomènes très inquiétants. Le rôle de l’océan est vital. Il régule le climat, il agit sur les précipitations, les inondations, la température.

Les coraux sont l’un des écosystèmes les plus menacés de la planète. « Le corail blanchit de façon massive. Nous voulons savoir comment cela se produit, indique

Romain Troublé

de la Fondation Tara Expéditions. Comment les coraux blanchissent-ils ? Pourquoi ce phénomène est-il observé à certains endroits et non à d’autres ? Le blanchissement du récif corallien semble être lié à l’augmentation des températures plus qu’à l’acidification. Celle-ci a surtout des conséquences sur la diminution du taux de calcification des coraux. Le corail vit dans des zones très pauvres en nutriments et en plancton. Il y vit car l’algue qui l’accueille lui fournit 95 % des sucres dont il a besoin. Quand il y a trop de stress – un stress certainement lié à des bulles d’eau chaude –, l’algue et certaines espèces de coraux se séparent. Si la séparation dure plus de trois semaines, le corail meurt. Ces phénomènes ont été multipliés par dix en moins de quarante ans. Je ne pense pas que les coraux vont disparaître, mais ils vont changer et on ne sait pas encore comment. »

 

Même s’ils ne devraient pas remettre en cause la survie des espèces, le problème n’en reste pas moins catastrophique. Le plastique, les filets de pêche et autres détritus peuvent abîmer et peuvent tuer. Baleines ayant ingéré des dizaines de sacs en plastique, tortues malades à cause du plastique ingéré… les images de ce désastre ne manquent pas. Un sac, une paille ou un coton-tige jetés n’importe où finiront dans une rivière, un fleuve, puis dans la mer ou l’océan. Une fois qu’un déchet entre en contact avec l’eau, il ne la quitte plus « Tout le monde est responsable et en même temps personne ne l’est, explique

François Galgani

Océanographe. Le plastique est très pratique. Il est léger et très résistant. Ces caractéristiques sont à la fois un avantage et un inconvénient car on ne sait pas gérer la fin de vie du plastique. »

 

La surexploitation des ressources halieutiques peut  avoir des conséquence sur tout l’écosystème et elle peut également déstabiliser une région. « Pourquoi des Somaliens sont-ils devenus des pirates ? s’interroge

Isabelle Autissier de WWF.

Parce qu’il n’y avait plus rien à pêcher. Pourquoi ? Notamment à cause des bateaux de la Communauté européenne qui venaient pêcher au large ou braconner dans leurs eaux. L’autre raison est le déversement de produits toxiques par les mafias. La soutenabilité des écosystèmes influe directement sur la paix. »

 

 

L’agriculture, principale cause de la consommation et de la pollution d’eau

« Quand l’eau est trop polluée, le captage est fermé, on ne mesure plus la pollution, explique

Gabrielle Bouleau

Spécialiste des politiques publiques de l’eau. Par conséquent, on ne connaît pas la pollution de certaines nappes. Quand ce n’est plus un enjeu pour l’eau potable, on ne s’y intéresse plus. On le pourrait pour l’enjeu environnemental, mais cela serait coûteux. »

« Auparavant, on mettait des paquets d’atrazine [un pesticide aujourd’hui interdit], il était donc possible de le mesurer, précise

Anne Spiteri

Créatrice d’un site web indépendant sur l’eau. Aujourd’hui, l’atrazine est remplacée par des substances plus nombreuses, plus toxiques, dont on ne connaît pas la mesure dans l’eau à l’état naturel. On en met moins, mais on ne mesure pas l’effet cocktail de toutes ces pollutions chimiques. Les stations d’épuration n’ont pas été conçues pour s’occuper de toute cette pollution chimique. Tout ce que nous utilisons finit dans l’eau. La fonction de l’eau est de nettoyer. Quand on aura tué tout le plancton, on n’aura plus d’oxygène. Nous avons dépensé beaucoup d’argent au détriment de la nature. Nous allons devoir dépenser au centuple pour l’environnement. »

« Les agences d l’eau  ont réalisé un travail extraordinaire, précise

Marc Laimé

Journaliste, spécialiste des questions liées à la gestion de l’eau et auteur d’un site sur ce sujet, http ://www.eauxglacees.com/ . Parties de rien, elles ont mis sur pied un modèle de gestion qui permet d’associer les industriels. Cette gestion a permis de prendre conscience que certaines activités polluaient. Le grand succès des agences est d’avoir réussi avec les industriels, mais d’avoir complètement échoué avec les agriculteurs. »

De nombreux spécialistes s’entendent sur le fait que montrer du doigt le changement climatique est une façon de ne pas remettre en cause notre consommation en eau. Nous continuons de rechercher de nouvelles ressources en eau sans diminuer notre demande. Les prévisions de pénurie sont établies par rapport à la consommation actuelle, qui est sans cesse en progression. « Je comprends les acteurs qui perçoivent un problème sur la façon dont le changement climatique entre dans le débat, reconnaît

Sara Fernandez

Chercheuse à l’Irstea. Le changement climatique justifie de nouveau le besoin d’ouvrages hydrauliques. Dans le domaine de l’eau, il y a toujours la tentative d’en faire une problématique globale, alors que les affaires d’eau sont très locales. Il n’existe pas un grand barrage qui stocke toute l’eau de la planète. Calculer les ressources en eau de la planète est une vue de l’esprit. »

« On refait avec la mer la même erreur qu’avec les ressources en eau douce, alerte

Julie Trottier

Chercheuse au CNRS. Il y a beaucoup d’eau dans la mer, mais elle n’est pas infinie. Le problème, c’est la saumure rejetée. De petites mers mortes risquent de se former le long des côtes, du fait de l’accumulation de saumure. Je suis farouchement hostile au dessalement de l’eau de mer. Cela signifie que la consommation n’est pas durable et que nous refusons d’en changer. On réfléchit en termes de gestion de l’offre : plus nous aurons d’eau, plus nous en utiliserons. En Israël, les pelouses sont irriguées par les eaux usées traitées, alors qu’elles pourraient servir à l’agriculture. Il n’y aura pas assez d’eau. Il faut gérer nos pratiques. D’excellentes initiatives peuvent être mises en avant, telles que la réhabilitation des citernes de collecte d’eau de pluie en Palestine ou la construction de toutes petites stations épuration. Mais certains préfèrent braquer les projecteurs sur les grands bailleurs de fonds, alors que de nombreuses initiatives civiles existent. »