Les semences soumises à une réglementation complexe et dangereuse
Homogène, stable et distinct : ces trois critères techniques correspondent à un petit nombre de types de semences. Il s’agit de variétés industrielles dites fixées, comme les hybrides F1.Les croisements entre deux variétés différentes, ou hybrides, ont toujours existé, de façon naturelle ou par le biais d’une intervention humaine. Mais les hybrides F1 sont particuliers. Ils font preuve de vigueur et de puissance pour une génération seulement. La descendance dégénère ensuite. En ressemant ces graines, l’agriculteur obtient une culture très disparate et inexploitable. L’agriculteur est obligé de racheter les semences chaque année : une aubaine pour les multinationales. « Imaginez des clous qui se reproduiraient gratuitement sur l’établi du bricoleur : ce serait un non-sens pour le revendeur de clous. Pour les semences, c’est la même chose. Une multinationale a intérêt à ce que les agriculteurs rachètent des semences et des produits chimiques tous les ans », explique Ananda Guillet, directeur de Kokopelli, une association qui vend des semences reproductibles en toute liberté.
Dans les années 1960, les semences créées par des entreprises ont été les seules autorisées à la vente car, associées aux pesticides et aux engrais chimiques, elles permettent d’obtenir un bon rendement. Surtout, chaque fruit qui naîtra de ces graines sera similaire : même taille, même forme. Idéal pour les supermarchés et pour la demande de certains consommateurs. Contrairement aux semences reproductibles en toute liberté, elles ne s’adaptent pas aux variations climatiques et aux terroirs. Elles standardisent les fruits, les légumes et les céréales « Les variétés du domaine public, c’est notre patrimoine commun. Il est inadmissible qu’elles aient été rendues illégales par une législation qui n’avait vocation qu’à assurer la standardisation de la production agricole », souligne Blanche Magarinos-Rey, l’une des rares avocates en France à défendre la cause environnementale. « Dans le système dans lequel nous sommes, il me semble logique que nous ayons cherché à homogénéiser, analyse Philippe Desbrosses, l’un des fondateurs du mouvement bio en France. Il faut que toutes les plantes soient mûres au même moment. Mais, du point de vue de la nature, ce n’est pas logique. On gagne du temps pendant quelques années, mais cela ne marche pas éternellement. Il y a un moment donné où tout se dégrade, tout s’effondre. »
Graines de troc permet d’échanger des graines, notamment grâce à un site internet. Cette structure est à l’origine des premières grainothèques. Aujourd’hui, il y en a plus de trois cents en France et à l’étranger. « Le troc de semences est un acte de résistance, affirme Sébastien Wittevert, Graines de troc, fondateur de l’association. Cet héritage semencier, conservé depuis dix mille ans, peut s’arrêter du jour au lendemain. On ne peut pas s’en remettre aux semenciers qui font le travail inverse. Le troc est un outil d’autonomie pour les jardiniers. »
Selon les associations, il n’importe pas de préserver seulement la biodiversité des semences, mais aussi le savoir-faire « La transmission des savoir-faire paysans représente un enjeu énorme, explique Guy Kastler, un des fondateurs du Réseau Semences paysannes. On n’apprend pas à reproduire des semences dans les formations agricoles. Les semenciers font tout leur possible pour nous empêcher de réacquérir notre autonomie en sélection de semences, parce que c’est le début du savoir-faire. Il ne sert à rien de changer les lois, s’il n’y a pas de transmission de savoir-faire de paysan à paysan. Défendre cette transmission est le premier objectif du Réseau Semences paysannes. »
Les OGM, causes de violentes dissensions
En plus de la difficile coexistence des cultures et, bien sûr, des enjeux financiers colossaux, un autre point explique les désaccords profonds au sujet des OGM : la place accordée à la science et à la complexité du vivant. Certains regrettent que nous cherchions davantage aujourd’hui à maîtriser le vivant qu’à le comprendre « Je ne crois pas du tout à la maîtrise génétique, déclare Jacques Testart, père du premier bébé éprouvette. Le génome est un monde que l’on ne connaît absolument pas. Nous en sommes au même stade que les anatomistes de la Renaissance : nous avons étudié l’anatomie de l’ADN, mais pas encore sa physiologie. Nous sommes capables de réaliser un traitement informatique pour mettre en relation une cause et son effet, mais nous sommes incapables de dire pourquoi telle structure va produire ceci ou cela. »
Certains regrettent que la science prime trop souvent sur l’éthique et la démocratie. La vérité scientifique d’une époque n’est pas forcément celle d’une autre. Aujourd’hui, les chercheurs sont hyperspécialisés. Ils manquent souvent des connaissances nécessaires pour jouir d’une vision globale sur tel ou tel sujet. « L’hyperspécialisation des experts est dramatique, déplore Jacques Testart. L’expert est handicapé. Il sait tout sur presque rien. C’est pour cela qu’il est dangereux. On ne peut pas remettre en cause son savoir, car il est celui qui sait ; mais il sait sans recul généraliste. C’est toute la différence avec le savant d’antan, qui avait acquis des connaissances dans tous les domaines. »
Il ne suffit pas de contrôler l’OGM, mais également le pesticide associé. Aujourd’hui, une plante génétiquement modifiée n’est pas évaluée avec l’herbicide qu’elle tolère. « C’est une plante faite pour absorber les pesticides, comme une éponge, souligne Gilles-Éric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’université de Caen. La plante classique en meurt. En mangeant ces plantes tolérantes aux herbicides, nous mangeons plus de pesticides car ce sont des pompes à pesticides. Voilà ce que nous avons prouvé à travers nos différentes études. Les pesticides sont des “spams” de la vie. Ils empêchent les cellules de communiquer entre elles. Les premières grandes maladies de la communication sont les tumeurs. Mais cela peut coincer n’importe où, c’est comme si vous accumuliez du sable dans un moteur : la maladie de Parkinson ou celle d’Alzheimer peut se déclarer, mais aussi des allergies ou des malformations congénitales. »
En Inde, les conséquences ont été dramatiques. Les agriculteurs endettés à cause de l’achat de semences et de pesticides se sont suicidés en masse. Selon l’association Navdanya, trois cent mille agriculteurs se sont suicidés depuis l’introduction du coton génétiquement modifié en Inde, en 2002. 80 % de ces suicides se sont produits dans la zone de culture de coton « Les agriculteurs n’ont pas pu refuser ces semences, souligne la physicienne et militante écologiste indienne Vandana Shiva. Monsanto a obligé toutes les entreprises indiennes à conclure des accords de licence, les empêchant de vendre d’autres semences de coton. Monsanto a augmenté le coût des semences de 8 000 %. Elles ont été fournies à crédit aux paysans. Lorsque le paysan ne pouvait pas rembourser, les agents de Monsanto sont venus prendre leurs terres. C’est alors que les agriculteurs ont bu des pesticides pour mettre fin à leur vie. »
De la nécessité de réhabiliter les semences libres
Selon de nombreux défenseurs de l’environnement, il serait temps de réorienter totalement la sélection des semences pour développer, enfin, des semences adaptées à l’agriculture biologique ou à l’agroécologie. Il existe aujourd’hui peu de recherches sur ces semences. À l’Inra, rares sont les scientifiques à travailler sur ce sujet. « Les variétés populations sont très différentes des variétés modernes, mais, à terme, elles sont plus efficaces, affirme Véronique Chable, agronome. Le renouvellement des variétés modernes est de plus en plus rapide. Les variétés de maïs durent trois à quatre ans. Elles sont très vite inadaptées. Les variétés populations changent, s’adaptent, coévoluent avec leur environnement. Elles ont une souplesse que n’ont pas les variétés modernes. »