La vie chère en Martinique, un modèle agricole et alimentaire à transformer

Cette sous-médiatisation est inacceptable. Des barricades qui empêchent de sortir de Fort de France dans la nuit de mercredi à jeudi, et un peu partout en Martinique, de grosses  difficultés à circuler à cause de barrages, les écoles et un aéroport fermés, des heurts, une nouvelle nuit de violences la nuit dernière… Bref, ces derniers jours ont été très bousculés en Martinique. Et pourtant, peu de médiatisation nationale (elle a surtout été parcellaire et tardive). Ce serait  n’importe où dans l’hexagone, cela ferait la Une de tous les journaux.

Les revendications sont pourtant bien légitimes.  La vie est trop chère. Notamment les produits alimentaires et ce depuis déjà de nombreuses années.  La précédente fois que je suis venue en Martinique, c’était en 2009, au moment où la grève avait paralysé l’île. Pour les mêmes raisons, 15 ans plus tard, rien n’a changé. Ou même certaines conditions de vie se sont dégradées…

Cette fois-ci, je suis venue pour réaliser une conférence sur l’eau qui a dû être reportée à la suite des évènements de ces derniers jours. Et ce sujet est intrinsèquement lié à ce qui se passe en ce moment. Car l’eau est -toujours et partout- liée à l’agriculture et l’alimentation.  Quel est le  problème en Martinique ? Le capitalisme, le modèle agricole industriel et le passé lié à la colonisation et à l’esclavage font que cette île exporte la plus  grande partie de sa production : des bananes et de la canne à sucre. Et elle importe 87 % de sa nourriture. Ajoutez à cela des subventions qui favorisent ces monocultures, une grande distribution aux mains de quelques békés et des taxes sur les importations destinées aux collectivités locales, qui font décoller les prix et qui sont  censées favoriser  la production  locale, elle-même défavorisée par la monoculture subventionnée et exportée. La population est prise en étau entre une production locale destinée à l’exportation et des importations taxées !

Et pourtant, un autre modèle agricole et alimentaire permettrait tout à fait de nourrir l’île. La Martinique  pourrait même être autonome. L’agroécologie a fait ses preuves même dans ces zones humides, où les hivers manquent pour se débarrasser des champignons. Associer certaines plantes à d’autres permet d’éloigner ravageurs et autres parasites. De nombreuses solutions autour du jardin créole  existent et elles sont déjà mises en place par des agriculteurs en Martinique.

Reste que pour l’élargir, il faut  l’encourager. Et ce n’est  toujours pas le cas aujourd’hui. Le scandale du chlordécone – ce pesticide qui reste des centaines d’années dans les sols et l’eau  et qui provoque de nombreuses maladies  graves (cancer de la prostate, infertilité, retard de développement chez l’enfant, risque de prématurés…) –  n’aura pas suffi à changer de modèle agricole. On reste dans la même logique. Et le comble est que les bananes cultivées  sur des sols contaminés au chlordécone n’en contiennent pas mais qu’elles sont exportées… alors que les tubercules cultivées sur les sols contaminés et consommés par les Martiniquais  en contiennent. En masse.

Pour la plupart d’entre nous, la Martinique se résume à ses belles plages paradisiaques et à la générosité de la nature, ainsi qu’à celle de ses habitants. Un couple a hier fait un détour de 2 heures de route pour  me ramener où je loge par les petites routes et éviter les barrages…

On  oublie trop souvent la réalité quotidienne que ces événements mettent en lumière : un revenu médian 16 % moins élevé que dans l’hexagone alors que les prix alimentaires sont 40 % plus chers, des sous-investissements dans de nombreux domaines. Cette médiatisation  parcellaire des protestations de ces derniers jours est d’ailleurs  révélatrice du manque de considération de ces problématiques par l’Etat.

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