La finance verte, la fausse bonne solution !

La finance ne cesse d’étendre son champ d’action. La nature était encore  la dernière frontière qui résistait aux marchés financiers.  Aujourd’hui, le monde de la finance a bien compris que ce secteur pourrait être plus profitable que celui du charbon ou du pétrole !  Entre « greenwashing » et titres financiers plus dangereux adossés à la  nature, les actifs se multiplient à l’envi !

 

Que signifie financiarisation ?

Avant de commencer à parler de finance verte, je voudrai éclaircir un point qui prête souvent à confusion dans le débat  public.  Il est nécessaire de distinguer monétarisation, privatisation, marchandisation et financiarisation de la nature.

Entre « greenwashing » et titres financiers plus dangereux adossés à la  nature, les actifs se multiplient à l’envi !

La privatisation de la nature n’est pas récente. Les semences sont un cas révélateur de la privatisation, puis de la marchandisation de la nature. La grande majorité des semences sont devenues des biens appartenant à des multinationales, grâce notamment aux brevets.

À l’origine, la monétarisation a, elle, été défendue par les écologistes pour démontrer la valeur de la nature, à une époque où ils n’étaient pas du tout écoutés. Une étude a même évalué les services rendus par l’ensemble des écosystèmes à 33 000 milliards de dollars par an.  Aurore Lalucq, députée européenne et auteure d’un ouvrage sur  ce sujet confirme qu’au départ, il y avait la volonté d’alerter, mais  elle m’a également rappelé que c’est un jeu très dangereux : on obtient des chiffres qui ne veulent rien dire. Donner un prix à la nature, c’est impossible. Et pour monétariser la nature, un écosystème est réduit à une seule fonction.

Dans ces différents cas, il n’y a pas forcément financiarisation. Nous parlons de financiarisation lorsque nous échangeons un titre financier adossé sur la nature.

La nature, nouveau terrain de jeu des financiers

Pour l’instant, les cas de financiarisation de la nature sont assez limités mais ils ne cessent de s’étendre ces dernières années.

Nous parlons de financiarisation lorsque nous échangeons un titre financier adossé sur la nature.

Vouloir réorienter les investissements de la finance vers la transition écologique ou des projets moins polluants peut paraître -pour chacun d’entre nous- louable.

Pourtant, les limites sont nombreuses. Tout d’abord, il est très difficile de tracer ces placements sur les marchés financiers. Par exemple, les critères des obligations vertes ne sont pas toujours assez contraignants ; il faudrait des labels plus précis. Faute de définition claire, la finance verte permet à des entreprises de réaliser du « green washing » –du marketing vert.

Le risque de ces  critères flous est également d’inclure au sein de la finance verte  des titres financiers plus dangereux, adossés à la nature. Il existe aujourd’hui des obligations qui donnent des droits sur les revenus futurs d’une forêt. Ils peuvent avoir un impact sur la façon de la gérer. D’autres produits financiers parient sur de futures catastrophes naturelles. Il est donc possible de spéculer sur l’intensité d’un ouragan ou d’un tsunami. Hélène Tordjman, économiste et spécialiste du sujet s’inquiète de l’élargissement possible de   ces outils, avec à terme la possibilité de spéculer sur la disparition d’espèces. Si les lions disparaissent, certains pourraient toucher de l’argent car ils avaient parié sur leur disparition via des titres financiers.

Si les lions disparaissent, certains pourraient toucher de l’argent car ils avaient parié sur leur disparition via des titres financiers.

Il existe déjà des titres financiers sur l’eau en Australie et aux Etats-Unis.  Il est même possible de spéculer sur le prix futur de l’eau en Californie… En Australie, premier pays à avoir créé des marchés de l’eau. Ces marchés ont favorisé les grandes exploitations agricoles et n’ont pas du tout permis de restreindre la sécheresse…

Et pourtant, nous savons à quel point, il est dangereux de spéculer sur des éléments vitaux. Prenons l’exemple des céréales. Dans ce secteur, les produits financiers dits dérivés sont, à l’origine, utiles pour couvrir les risques : les agriculteurs s’assurent du prix de leur récolte. Le problème est que les spéculateurs sont devenus beaucoup trop nombreux. Aujourd’hui, sur certains marchés de denrées alimentaires, plus des deux tiers des acteurs sont des spéculateurs, alors que leur part devait être limitée à 20 % ou 30 %. Le but de ces spéculateurs : parier sur la hausse ou la baisse des prix des céréales. Selon David Bicchetti, économiste aux Nations unies, les spéculateurs influent sur les cours plus que la sécheresse ou la demande en céréales. Cet économiste a participé à la réalisation d’une étude qui a analysé des millions de transactions, même celles réalisées à la microseconde par des ordinateurs. Le constat est sans appel : le prix des matières premières suit le prix des actions des plus grandes entreprises cotées en bourse. 60 % à 80 % des changements de prix sont dus à la spéculation. Les répercussions de cette spéculation sont très graves. En 2008 et 2011, la flambée des cours du blé à Chicago a provoqué des émeutes de la faim dans de nombreux pays du Sud. En 2011, 44 millions de personnes supplémentaires ont souffert de la faim à cause de ­l’augmentation des prix des denrées alimentaires.  Certes, aujourd’hui, la hausse du prix du blé a des raisons concrètes : la Russie et l’Ukraine représentent une part importante des exportations mondiales de blé. Mais la spéculation amplifie les fluctuations de prix et déconnectent les bourses de la réalité.

En 2011, 44 millions de personnes supplémentaires ont souffert de la faim à cause de ­l’augmentation des prix des denrées alimentaires

Fréderic Hache, ancien trader est co-fondateur de Green Finance Observatory à Bruxelles, une association qui surveille la finance verte.  Il  explique que ces deux dernières années, les mécanismes de marchés financiers adossés à la  nature se sont multipliés : un nouveau marché financier de permis de polluer pour l’aviation civile, des permis de destruction de la biodiversité que l’on découvre sous l’appellation trompeuse de « solutions fondées sur la nature » Sans oublier, le scandale de l’« obligation  pandémie» de la Banque Mondiale,  un titre financier pour que les investisseurs parient sur les futures pandémies dont le coronavirus.

La financiarisation, une solution dangereuse

Cet essor des marchés financiers sur la nature est d’autant plus incompréhensible d’un point de vue environnemental que le système d’échange de quotas d’émission co2 de l’Union Européenne – le principal marché de permis de polluer au monde – a été un échec depuis sa création, il y a 15 ans. Le marché carbone européen n’a pas réduit les émissions de gaz à effet de serre.  Le prix de la tonne CO2, instable et trop faible, ne représente pas un coût assez significatif pour les entreprises.

Selon Frédéric Hache, cette multiplication des mécanismes de marché s’explique très bien politiquement par le désir de détourner le débat public de la nécessité de politiques environnementales plus strictes. Nous n’avons pas besoin de davantage de finance. Nous avons  besoin de réglementations environnementales adaptées. Sur ce sujet, nous avons toujours tendance à dériver en affirmant qu’il faut verdir la finance. Or, l’urgence est  de réduire le poids des marchés financiers.

Les marchés ne savent pas mettre  un prix sur la rareté. Il suffit de regarder le prix du pétrole depuis 100 ans afin de constater que  les marchés sont incapables de mettre un prix sur la rareté. Les marchés sont incapables de gérer l’incertitude forte. L’incertitude forte provoque systématiquement des krachs.

Les marchés financiers ne peuvent donc en aucun cas constituer la solution !

La finance a mis l’économie mondiale au bord de l’effondrement lors de la crise des subprimes. Depuis,  aucune réforme structurelle n’a été mise  en place. Ces dernières années, les alertes concernant un nouveau krach boursier se sont multipliées. Est-ce bien judicieux de confier l’avenir de notre planète à ces mêmes marchés financiers ?

Juliette Duquesne

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