La technologie ne résoudra pas les problèmes liés au vivant !

Pour éviter ou contourner la sobriété, certains misent sur des technologies -des solutions marchandes- alors que les problèmes peuvent justement venir de ces pratiques.

Toute avancée technologique n’est, bien sûr, pas à récuser. Cependant, une même logique se retrouve souvent dans le débat public : « les avancées technologiques  nous permettraient de résoudre les problèmes écologiques. Cela nous éviterait de réduire notre consommation et de  sortir de notre modèle basé sur la croissance du produit intérieur brut. »

Les limites planétaires

De nombreux économistes défendant la croissance verte affirment que des innovations futures permettront de régler tous les problèmes et c’est justement la croissance qui permettra à ces innovations d’être créées. Mais ils butent souvent sur la même question : quelles innovations pourraient résoudre les problématiques écologiques ?

Les innovations technologiques du passé, des pesticides à l’avion, ont été en général néfastes pour l’environnement. Pour ne prendre qu’un exemple : aucun OGM miracle ne permet de cultiver sans eau, contrairement aux promesses de l’industrie agroalimentaire…

Les innovations technologiques du passé, des pesticides à l’avion, ont été en général néfastes pour l’environnement

De la même manière, les gains d’efficacité obtenus grâce aux innovations technologiques sont presque tout le temps annulés par le fameux « effet rebond ». Dans le numérique par exemple, le débit plus rapide ne nous encourage pas à réduire notre consommation, bien au contraire comme le montre l’explosion de la consommation d’énergie liée à l’Internet.

Lors de la Cop  26 notamment,  de nombreux entrepôts moins énergivores grâce à des capteurs derniers cris, ont été mis en avant. Mais dans la plupart des cas, la fabrication de ces capteurs n’est pas prise en compte. Dans le numérique, c’est de loin la fabrication des équipements qui est la source la plus importante de la pollution…  Cela n’a donc aucun sens !

Depuis quinze ans, Frédéric Bordage, fondateur et animateur de GreenIT.fr, réalise de nombreuses études sur les impacts environnementaux du numérique en se fondant sur une méthodologie d’analyse du cycle de vie. Il met en garde contre cette accélération de la numérisation.  Il ne cesse de répéter que compte tenu des rythmes actuels d’épuisement des ressources, dans trente ans nous ne pourrons plus disposer de tous ces équipements numériques. On nous vend une illusion avec les voitures autonomes pour tout le monde, la généralisation des écrans et des objets connectés, notamment nécessaires au sein de la ville intelligente. Concrètement, comment est-ce possible avec les stocks actuels de minerais ? Cette vision prométhéenne se heurte à la réalité géologique de la Terre.

Certains misent sur l’ordinateur quantique, fonctionnant à basse température et moins gourmand en énergie. La France a annoncé un plan d’investissement public-­privé de 1,8 milliard d’euros sur cinq ans. Toutefois, cette technologie est loin d’être au point pour une utilisation quotidienne et des études montrent déjà que la consommation d’énergie pourrait être plus importante qu’attendue. Quoi qu’il en soit, cette technologie ne réglera pas le problème de la pollution liée à la fabrication des nombreux équipements.

Pour réduire le changement climatique au lieu de diminuer drastiquement nos émissions de CO2, certains mettent également en avant des solutions techniques de captages et de stockage de carbone.   Il existe des solutions naturelles comme la plantation d’arbres. D’autres font appel à des technologies. Des procédés existent de captage  du CO2 puis  de transport  à l’aide de tuyaux et enfin de stockage géologique de ce CO2. Selon l’Ademe, l’agence de la transition écologique, la combinaison du captage -transport et stockage est complexe et coûteuse. Un de leur rapport conclut même au potentiel limité de cette solution en France.

 

Selon l’Ademe, l’agence de la transition écologique, la combinaison du captage -transport et stockage est complexe et coûteuse.

Certains parient aussi  sur la géo ingénierie pour modifier le climat. En injectant par exemple du soufre dans la stratosphère, on imite une éruption volcanique pour refroidir la planète. Des innovations aux multiples conséquences…

Bref, toutes ces innovations technologiques qui intéressent les plus grandes multinationales de la planète et qui sont même, parfois, mises en avant par les organismes internationaux, sont loin d’être au point. Certaines pourraient s’avérer particulièrement néfastes pour notre planète.

La logique transhumaniste

Cette logique de fuite en avant technologique résulte -comme pour notre refus d’accepter la finitude de la planète- de notre refus d’accepter la mort. Elle a donc un lien avec la vision transhumaniste.

Cette logique de fuite en avant technologique résulte -comme pour notre refus d’accepter la finitude de la planète- de notre refus d’accepter la mort.

Dans le débat public, nous entendons souvent ce terme « transhumanisme », sans vraiment savoir de quoi il s’agit. Il peut même étayer de multiples récits, plus ou moins fantasques.

Le transhumanisme est un courant de pensée qui souhaite accroître les capacités physiques et intellectuelles de l’être humain grâce au progrès scientifique et technique, via, par exemple, l’IA, les biotechnologies comme les modifications génétiques.

À la Silicon Valley, en Californie, beaucoup affirment appartenir à ce mouvement, comme Ray Kurzweil, icône du transhumanisme et directeur de l’ingénierie chez Google.  Jean­Michel Besnier est, lui, philosophe et a écrit plusieurs ouvrages sur le transhumanisme. Il explique que le fantasme majeur des transhumanistes est appelé “singularité ». Il pourrait advenir en 2045 si l’on en croit Ray Kurzweil. Les machines intelligentes n’auront plus besoin de nous et seront capables d’autoréflexion, donc d’autoperfectionnement. Nous serons bel et bien supplantés et nous n’aurons d’autre solution que de fusionner avec ces machines ou de rester à l’extérieur.

Matthieu Montalban est économiste. Il a montré que le technosolutionnisme est en fait  un projet politique qui s’efforce d’éviter le passage par l’arène politique, afin qu’il ne soit pas questionné. Nous courons sans cesse vers de nouvelles innovations technologiques, sans débat public sur leurs éventuels intérêts.  Avec le transhumanisme, nous ne faisons qu’aller jusqu’au bout de la même logique. C’est un vrai projet politique, quasi religieux. Il y a une eschatologie assez phénoménale, avec des questions sur la mort, sur la vie… Le transhumanisme remplace Dieu par la singularité technologique : c’est vertigineux !

Nous courons sans cesse vers de nouvelles innovations technologiques, sans débat public sur leurs éventuels intérêts.

Nous sommes loin d’inventer ces machines autonomes et intelligentes. Cela n’arrivera certainement jamais. Mais ces croyances ont déjà de multiples conséquences sur notre quotidien.

Cela ne signifie pas que nous appartenons tous au courant transhumaniste. Cependant, de cette idéologie découle de nombreuses caractéristiques de nos sociétés telles que  le besoin de maîtriser le vivant mais aussi notre propre corps.  Le succès de la chirurgie esthétique en est un exemple.

Les innovations sociales

Remettre en cause cette fuite en avant technologique ne signifie pas comme nous l’entendons souvent que nous allons nous priver de toute innovation. Bien au contraire ! Il y a toutes sortes d’innovations.  Il  y aussi les innovations sociales, essentielles pour nous organiser différemment.  L’association les « Jardins de Cocagne »  a inventé l’un des premiers paniers bio en France. Nous connaissons aujourd’hui le succès cette vente directe, cependant au départ, les « Jardins de Cocagne » cherchaient surtout une façon d’employer des personnes en difficultés et les insérer de nouveau dans la société…

Ces innovations sociales sont légion et nous en aurons sans doute bien plus besoin que la technologie pour organiser la sobriété…

Juliette Duquesne

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