Le numérique pollue !

Le numérique est loin d’être immatériel. Il représente environ 4 % des émissions de gaz à effet de serre soit  davantage que l’aviation civile.  Si le numérique était un pays, il aurait deux à trois fois l’empreinte de la France.

La fabrication des équipements, la principale source de pollution dans le numérique

Contrairement à certaines idées reçues, stocker des mails ou des données dans des datas centers, n’est pas le plus polluant au sein du numérique. Ce sont nos équipements. Nous en avons beaucoup et nous les changeons trop souvent. En France, la fabrication des équipements est responsable de plus de 70 % de la pollution du numérique.   Cette pollution n’est pas directement réalisée en France car nous importons la plupart d’entre eux.

En France, la fabrication des équipements est responsable de plus de 70 % de la pollution du numérique.

Afin de mesurer la pollution, il peut s’avérer néfaste de ne compter que les seuls  gaz à effet de serre.  Frédéric Bordage est un pionnier dans la sobriété numérique. Il travaille sur ce sujet depuis plus de 15 ans. Il a calculé qu’en France, le numérique est responsable de cinq fois la consommation d’eau des Parisiens par an.

Autre source de pollution du numérique à ne pas négliger : l’extraction des métaux. Une cinquantaine de métaux sont nécessaires pour nos smartphones.  Pour produire un ordinateur de 2kg, il faut 600kg de matières premières. Certaines études évoquent un  risque de pénurie  pour l’indium, dès 2030 2035. Selon le chercheur au CNRS Olivier Vidal, le pic d’extraction du cuivre pourrait être atteint dans 40 ans. Même s’il n’est pas toujours simple de savoir exactement quels métaux pourraient manquer, les réserves ne sont pas toutes connues, un point a fait l’unanimité : les gisements seront plus difficiles à trouver.  Au risque de devoir toujours creuser dans la terre, de consommer plus d’énergie et donc de polluer davantage !

Pour produire un ordinateur de 2kg, il faut 600kg de matières premières.

Moins de 3 % des matériaux dans un smartphone sont recyclés.  La miniaturisation nuit au démantèlement et au recyclage. Plus un produit est  complexe, plus il est difficilement recyclable.

La fabrication de nos télévisons, box, ordinateurs, tablettes et autres smartphones sont de loin la principale source de pollution du numérique.

Des datas centers toujours plus grands.

Mais le stockage des données dans les datas centers  a également des impacts.    Certes les Gafam, -Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft-, se vantent de se tourner vers les énergies renouvelables ou d’être neutre en carbone. Certes, les datas centers ont réalisé des progrès mais pour être neutres en carbone, les sociétés ont tout de même besoin de compenser. De nombreux défenseurs de l’environnement critiquent les systèmes de compensation.  Personne ne sait jamais réellement compenser les dégâts réalisés dans la nature.  Difficile de compenser des émissions de Co2 en plantant simplement des arbres.  Et planter des arbres ne signifie pas créer une forêt.

L’IA, une source de pollution croissante

L’intelligence artificielle n’est pas du tout aujourd’hui la source de pollution du numérique la plus importante. Cependant, les programmes d’IA sont de plus en plus employés.  Le plus polluant est  l’entrainement d’un modèle, c’est-à-dire la phase d’apprentissage de l’algorithme à base de données. Cette partie  émet en moyenne autant de gaz à effet de serre qu’un aller en avion Paris-Hong Kong.

Certains mettent en avant l’utilité des programmes d’intelligence artificielle pour réduire la pollution. Il ne s’agit pas ici de rejeter en bloc certains usages précis qui peuvent être intéressants. Cependant, Emmanuelle Frenoux, chercheuse en informatique, membre du  groupement de services CNRS Ecoinfo  met en garde contre  l’installation de capteurs   pour économiser au quotidien la consommation d’énergie  car il ne faut pas oublier la fabrication des capteurs et du matériel informatique. Si on étudie l’ensemble du périmètre impliqué, l’impact est, dans la plupart des cas, néfaste pour l’environnement car comme je viens de le dire, la fabrication  des équipements est  de loin la principale source de pollution du numérique.

Un conseil à retenir : garder ses équipements plus longtemps !

Au quotidien, chacun peut, bien sûr, réaliser des gestes afin de réduire son empreinte numérique. En plus de garder ses appareils le plus longtemps possible, on peut les réparer ou les acheter reconditionnés. Autres conseils souvent répétés par les acteurs clés : éteindre sa box et ses autres appareils électroniques quand on ne les utilise pas.

Pour profiter d’internet, la connexion fibre ou ADSL  est à privilégier plutôt que la 4G, beaucoup plus énergivores. Les impacts sont 20 fois plus importants !

Chacun se pose souvent la question : dois-je imprimer  un document ou le stocker sur mon ordinateur ? L’impression devient intéressante écologiquement lorsqu’on doit le garder longtemps.

La liste des conseils pourrait être très longue afin de réussir à être sobre numériquement et devenir un casse-tête pour les utilisateurs.

D’autres initiatives très intéressantes  existent notamment celle d’un entrepreneur Christophe Perron. Il a créé des chaudières numériques, à partir de data centers vertueux. Les serveurs informatiques fonctionnent  à l’intérieur d’une chaudière numérique qui produit de la chaleur renouvelable. Ces dernières peuvent être installées en bas d’un immeuble pour chauffer l’eau sanitaire. Sa solution permet de réduire considérablement l’impact environnemental par rapport à un data center standard. Les serveurs choisis sont en plus de seconde main.

Contrairement à ceux qui font du greenwashing  en plantant des arbres pour compenser le carbone, la solution inventée par Christophe Perron est     carbonégative.

Afin de limiter notre impact numérique, des mesures plus globales sont, bien sûr nécessaires. En France, depuis 2021, un  indice de réparabilité est obligatoire sur tous les équipements électriques et électroniques. Une note comprise entre 0 et 10  est établie selon des critères comme la disponibilité des pièces ou la démontabilité. Un indice plus global de durabilité sera obligatoire à partir de 2024.

Frédéric Bordage de Green it aimerait mettre en avant l’écoconception des sites publics : Comment conçoit-on un  service numérique en enlevant le plus de numérique possible ?  Le numérique ne peut pas croître indéfiniment sans effet sur l’environnement. Il faut trouver des solutions, des services hybrides, où seul le numérique indispensable est conservé. Le low-tech numérique  consiste, par exemple, lorsque la Sncf veut vous informer, à le faire par sms afin de réduire son empreinte numérique plutôt que par le smartphone en 4G.

Autre mesure que les acteurs du numérique sobre aimeraient mettre en place : l’interdiction totale de l’obsolescence logicielle, ces mises à jour   qui ralentissent votre téléphone afin de vous pousser à en acheter un nouveau.

De la loi à l’indispensable dénumérisation

L’an dernier, une loi sur la sobriété numérique a été votée en France : sensibilisation dès l’école à ces sujets, création d’un observatoire du numérique… L’initiative est saluée par les associations même si la loi reste encore largement insuffisante.

Au-delà de ces pratiques de sobriété numérique nécessaires : dénumériser est sans aucun doute indispensable.  Attention à ne pas faire de la sobriété numérique pour pouvoir faire plus de numérique a rappelé Françoise Berthoud, fondatrice du groupement de services CNRS ecoinfo. Un autre numérique plus libre et sobre pourrait servir d’excuse à continuer notre numérisation du monde à outrance.

 

Attention à ne pas faire de la sobriété numérique pour pouvoir faire plus de numérique

Le scénario de l’association négaWatt  qui établit un  plan respectueux de notre Terre pour 2050  prévoit de réduire   considérablement nos usages numériques. Thierry Hanau de négawatt m’a expliqué que  globalement nous devrions diviser par deux toutes les dépenses énergétiques numériques grâce en grande partie à la sobriété.

Une informatique libre loin des Gafam et de la publicité ciblée, engendrerait un numérique sobre, beaucoup moins envahissant et ne poussant pas à davantage de consommation et donc de pollution. Le numérique actuel serait le résultat de notre société consumériste. Pour d’autres au contraire, le problème viendrait de l’outil lui-même, fruit de notre société centrée sur le PIB et obsédée par l’efficacité. Ces outils informatiques généreraient inévitablement les dérives actuelles. Essayer de les contenir avec de multiples lois et réglementations serait voué à l’échec.

L’outil informatique n’est évidemment pas neutre. Il n’est pas toujours facile de trancher entre ces deux causalités : les usages de l’outil et l’outil en lui-même. Elles peuvent d’ailleurs s’entremêler.

L’outil informatique n’est évidemment pas neutre.

Pour réduire cette pollution numérique, nous n’échapperons sans doute pas à modifier profondément notre rapport à la technologie : cesser de la percevoir comme la solution à tous nos maux.  Les initiatives de la société civile afin de créer un numérique moins envahissant, plus sobre, plus convivial, plus libre    sont particulièrement nombreuses en France.  Reste à les semer, les multiplier et à les généraliser !

Juliette Duquesne

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