Nous sommes loin d’une intelligence artificielle autonome et consciente !

Que cache l’intelligence artificielle ? Ce concept est sans cesse employé par des entreprises, des start-up, certains politiques ou scientifiques comme s’il s’agissait de la révolution en cours et la solution à de nombreux problèmes. Ce sont parfois les mêmes qui attisent la peur en affirmant que, d’ici 2050, les robots auront pris le pouvoir. Qu’en est-il vraiment ?

Rien qu’en Europe, 44 % des start-up d’intelligence artificielle ne l’utiliseraient même pas dans leurs solutions qu’elles commercialisent.

Il n’est pas toujours si simple d’avoir un état des lieux précis des usages de l’intelligence artificielle. Les transformations sont en train de se mettre en place dans de nombreux secteurs de la société et certaines techniques issues de l’IA sont exagérément mises en avant  pour encourager les investissements privés comme publics. Et beaucoup préfèrent parler des changements, des avancées et des possibles dangers futurs, plutôt que de ceux en cours qui sont pourtant déjà bien réels.

À travers le monde, les investissements privés vers les start-up de l’intelligence artificielle ont été multipliés par plus de 30 en moins de dix ans. Mais rien qu’en Europe, 44 % des start-up d’intelligence artificielle ne l’utiliseraient même pas dans leurs solutions qu’elles commercialisent.

Les machines ne sont pas intelligentes !

Le terme « intelligence artificielle » n’est certainement pas le plus approprié. Les ordinateurs actuels ont surtout acquis d’énormes capacités afin de traiter et de recouper des milliards de données collectées : ils sont capables de réaliser dix milliards d’opérations en quelques secondes, 100 000 milliards en une journée !

L’intelligence artificielle ne reproduit pas l’intelligence humaine. Pour reconnaître une image, un programme d’intelligence artificielle a besoin d’être entraîné des milliers de fois, contrairement à un enfant qui ne la regardera qu’une ou deux fois.

Daniel Goossens, chercheur en IA et auteur de bande dessinée reconnue explique qu’une équipe de chercheurs avait  modifié des photos en ajoutant des pixels quasi invisibles à l’œil nu, sans changer  la photo ; mais ces changements trompent le programme d’Intelligence artificielle. Il le reconnaît comme un autre objet. Par exemple, à la place d’un arbre, il reconnaît une autruche.

Luc Julia, cocréateur de Siri, le logiciel de reconnaissance vocale d’Apple, reconnaît que son logiciel n’a rien d’intelligent. S’il a eu autant de succès, c’est justement qu’il avait conscience des difficultés. Il m’a raconté que lorsque Siri ne comprend pas, elle ne s’avoue pas tout de suite vaincue, elle change de conversation ou elle raconte une blague. C’est l’une des raisons pour lesquelles le public l’a aimée. Il reconnaît avoir mis de la stupidité de façon artificielle pour que personne ne soit pas étonné des réponses de Siri.

Ces logiciels font donc illusion. Les machines ne peuvent pas utiliser l’ironie, l’humour. Les programmes d’intelligence artificielle n’ont pas de corps, par conséquent ils n’ont pas non plus d’intelligence émotionnelle.  Nicolas Sabouret, chercheur en IA  confirme qu’une intelligence artificielle n’est pas créative. Un programme peut dessiner des œuvres à la manière de Van Gogh ou écrire de la musique à la manière de Bach. Cela ne rend pas la machine intelligente. Elle n’a ni émotion ni capacité d’invention. La machine ne fait que le programme pour lequel elle a été conçue.

Nous sommes donc aujourd’hui très loin de vivre des scènes de films de science-fiction où les robots auraient pris concrètement le pouvoir. Alors pourquoi les débats médiatiques ne cessent d’alimenter cette crainte ?

Les mythes autour de l’IA

De nombreux chercheurs en intelligence artificielle sont fans de récits de science-fiction depuis leur enfance, à tel point que lors des interviews réalisées, il n’a pas toujours été simple de distinguer ce qu’ils projettent concrètement de ce qu’ils imaginent simplement en termes de recherches et de possibles réalisations futures. Fiction et réalité peuvent s’entremêler. Le fait que des chercheurs ou des industriels en intelligence artificielle soient de grands adeptes férus de science-fiction a forcément un impact sur le réel, même si les conséquences n’ont pas la forme de robots tueurs à la Terminator.

Ces discours sont aussi entretenus médiatiquement : « On aime se faire peur. » Cette crainte d’une prise de pouvoir par les machines est même attisée par ceux qui vendent de l’intelligence artificielle. Au-delà des aspects marketing pour attirer les investissements, cette peur du futur permet aux Gafam, Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft de nous éloigner des dangers actuels, plus insidieux, liés à l’utilisation de l’intelligence artificielle. Avec ces considérations prophétiques, les Gafam tentent d’éloigner, de repousser, parfois en vain, les reproches qui leur sont adressés : des multinationales devenues bien trop puissantes. De plus en plus de personnes réclament leur démantèlement !

Luc Julia   considère Elon Musk comme un visionnaire de produits. Mais il précise bien que le fondateur de la firme Tesla et de la société  SpaceX ne connaît strictement rien en IA. Elon Musk a affirmé : “J’ai créé une compagnie qui fait de l’IA et qui nous remplacera. Nous mettrons des puces dans le cerveau”. Pour Luc Julia, ce discours devrait être réservé à Hollywood !

Derrière les machines, d’innombrables petites mains

Les machines peuvent réaliser des prouesses, plusieurs chercheurs ont salué des applications intéressantes dans l’imagerie médicale ou pour détecter des pannes au sein des usines.   Mais ces programmes ne sont pas  du tout autonomes.  Pour preuve, des milliers de petites mains collectent les données, participent au fonctionnement de l’IA un peu partout sur la planète, pour quelques centimes d’euros la tâche. En Chine,  Lian regarde des centaines de visages par jour.  Son travail consiste à étiqueter un visage afin que la machine puisse reconnaître les différentes parties du visage. C’est une tâche extrêmement répétitive. À des milliers de kilomètres de là, au Burkina Faso, Christelle et Sylvia travaillent, elles aussi, au bon fonctionnement de la numérisation de notre monde. Leurs tâches sont multiples : transcription de tickets de caisse pour des sociétés européennes, description d’objets…

Les usages de l’IA multiples aux conséquences néfastes !

Nous connaissons très mal les applications et le fonctionnent de l’intelligence artificielle  qui est déjà utilisée en masse dans de nombreux secteurs de notre société.

Notre société, nourrie d’un imaginaire de Science-fiction depuis plusieurs décennies surestime les performances de l’IA

Les algorithmes de prédiction, ceux qui aident à la prise de décision sont déjà utilisés en masse. Dans de nombreuses multinationales, la prévision a remplacé l’intuition. Ces programmes réalisent pourtant encore beaucoup d’erreurs. Philippe Besse,  chercheur en IA,  a  par exemple précisé  que, selon les données qu’il avait pu étudier, les taux d’erreur des prédictions d’achat étaient facilement de l’ordre de 20 %. Par ailleurs, aucune intelligence artificielle n’a  pu prédire la Covid-19 et cette pandémie a, bien sûr, faussé tous les modèles, notamment ceux fondés sur les données.

Pour preuve, des milliers de petites mains collectent les données, participent au fonctionnement de l’IA un peu partout sur la planète, pour quelques centimes d’euros la tâche.

Certains opposants et promoteurs de l’intelligence artificielle se rejoignent en donnant des pouvoirs à l’IA qui n’existent pas. Ces discours nous éloignent des véritables dangers actuels.

Notre société, nourrie d’un imaginaire de Science-fiction depuis plusieurs décennies surestime les performances de l’IA. Des programmes parfois inefficaces qui sont tout de même utilisés tous les jours et qui ont de multiples effets néfastes.

Pour ne donner que quelques exemples, nous ne savons pas exactement comment et pour quelles finalités sont utilisées nos données ce qui encourage la  paranoïa de la société, souvent justifiée. La publicité sur internet, nourrie de multiples programmes d’IA généralise l’indiscrétion. L’algorithmisation du monde rigidifie et rend moins souples les interactions au sein de la société. Tous les jours, nous échangeons avec des machines qui ne s’adaptent pas comme peuvent le faire des humains. Chacun doit entrer dans une case, sans considération de la situation et du cas particulier. Nous supprimons tous les jours un peu plus l’unicité de chacun, ce qui fait de nous des humains !

La principale crainte n’est donc pas d’être dominée par des machines, mais que nous simplifions et nous standardisions nos comportements afin d’interagir avec un environnement où les programmes d’IA sont devenus multiples.

Nous investissons des milliards d’euros  dans l’intelligence artificielle. Ne vaudrait-il pas mieux investir cet argent dans d’autres secteurs plus utiles ?

Réservées à quelques secteurs précis, certaines applications de l’intelligence artificielle peuvent être intéressantes et même bénéfiques, mais aujourd’hui, la plupart sont créés pour nous surveiller et nous pousser à consommer.

Nous investissons des milliards d’euros  dans l’intelligence artificielle. Ne vaudrait-il pas mieux investir cet argent dans d’autres secteurs plus utiles ? Jusqu’où et dans quels objectifs nos usages de l’IA doivent-il se diriger ? Dans quels secteurs pourrait-elle être bénéfique ?  Les dérives résident-elles dans l’outil informatique en lui-même ou dans les usages ?   La solution serait donc de cesser de débattre sur une intelligence artificielle superpuissante  qui n’existe pas pour se centrer sur les applications actuelles. Préférons au détournement de notre attention, un débat concret et critique !

Juliette Duquesne

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