Les métropoles n’aideront pas à résoudre les problèmes écologiques !

L’urbanisation revient régulièrement lors  des enquêtes Carnets d’alerte. Cette problématique transversale questionne nos modes de vies,  notre façon de nous alimenter, de nous déplacer… Et elle apparaît davantage comme une cause de nos problématiques liées au vivant plutôt que comme une solution…

 

 

Les dangers du métropolisation : une civilisation hors-sol !

Comme pour de nombreux sujets, la rupture s’opère après la Seconde Guerre mondiale.  Nous n’avons jamais connu dans l’histoire de l’humanité des tailles de villes aussi importantes  et en si grand nombre.

Depuis 1950, la population urbaine mondiale a été multipliée par plus de 5. Selon l’organisation des Nations unies, 58 % de la population vit dans des villes. Si nous continuons dans cette logique, cette part devrait atteindre 70 % en 2050. Plus de 600 villes dans le monde atteignent plus d’un million d’habitants.

L’urbanisation au cœur de nos sociétés de consommation.

Cette urbanisation galopante a été rendue possible car nous avons vidé les campagnes… des paysans.

L’agriculture industrielle, davantage mécanisée et à base de pesticides et d’engrais chimiques a besoin de moins de main d’œuvre.

Cette agriculture industrielle implique également des spécialisations par zone géographique   et par conséquent davantage d’échanges de nourriture avec une hausse des importations et exportations.

Dans les pays de Sud, cette agriculture intensive  et les accords de libre échange qui en ont résulté ont même provoqué des désastres.

Afin d’obtenir des prêts et des aides du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, de nombreux pays ont dû libéraliser leur marché. À cause de ces mesures, ils ont perdu une grande partie de leur souveraineté alimentaire.

En Haïti, par exemple, les tarifs douaniers du riz ont chuté de 50 % à 3 % dans les années 1990. Le riz américain subventionné a envahi l’île. Les importations ont donc été multipliées par plus de 60 depuis 1985. Ces importations ont totalement désorganisé le pays. Des milliers de riziculteurs locaux, mais aussi des producteurs de maïs et de sorgho n’ont pas pu faire face à cette concurrence du riz subventionné. À cause de ces importations, on a constaté un exode rural massif.  Les paysans sont venus habiter dans des bidonvilles.

Des exemples comme celui-ci pourraient être répétés à l’envi à travers le monde. En 1970, l’Afrique exportait plus de nourriture qu’elle n’en importait. Aujourd’hui, les importations ont dépassé les exportations de 19,5 milliards d’euros !

Aujourd’hui, à travers le  monde plus d’un milliard de personnes logent dans des bidonvilles. L’urbanisation n’a donc pas les mêmes conséquences dans les pays occidentaux que dans les pays du sud, mais dans les deux cas, c’est l’instauration de l’agriculture industrielle et la multiplication  échanges commerciaux qu’elle implique qui  a  participé à encourager l’urbanisation.

Aujourd’hui, à travers le  monde plus d’un milliard de personnes logent dans des bidonvilles.

La ville, symbole de  notre dépendance

Thierry Paquot  est philosophe de l’urbain et l’auteur d’une soixantaine d’ouvrages sur la ville.  Il  explique que c’est bien  avec le productivisme et le capitalisme que s’est développé l’argument totalement idéologique que  plus la ville est importante mieux les habitants se portent, avec un éventail de services plus larges… Cet argument, repris comme une sorte d’évidence dans les manuels scolaires et par les organismes internationaux, commence aujourd’hui à être remis en cause.

A travers le monde, de nombreuses villes sont conçues sur le même modèle  où  la consommation de toute sorte (alimentaire, divertissement ou achat plaisir)  a un rôle central, et où l’autonomie des individus ne serait-ce que d’un point de vue énergétique et alimentaire est considérablement amoindrie.

L’autonomie alimentaire de la ville de Paris est estimée à 3 jours, alors que Thierry Paquot me rappelait très justement qu’à la fin du XIXᵉ siècle et au début du 20ᵉ, Paris réussissait à se nourrir jusqu’à 80 % du contenu de ses assiettes avec ce qui était produit aux alentours.  En France,  en moyenne le degré d’autonomie alimentaire des 100 premières aires urbaines  françaises est de seulement 2 %.

L’autonomie alimentaire de la ville de Paris est estimée à 3 jours

La ville, source de pollution

Selon l’ONU, les villes comptent pour 78 % de la consommation énergétique mondiale et produisent plus de 60 % des émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, elles représentent moins de 2 % de la surface de la Terre.

Guillaume Faburel est professeur en géographie, urbanisme et science politique. Ce chercheur déplore cette métropolisation du monde. Il  ne cesse de  détailler l’ensemble des conséquences écologiques d’une telle organisation. Il dénonce l’utilisation du béton, « une passion urbaine par excellence », un secteur responsable à lui seul de 9 % des émissions de  Co2. L’urbanisation va également  de pair avec l’artificialisation des terres.  En  France, l’équivalent d’un département de terres agricoles  disparait tous les dix ans.

En  France, l’équivalent d’un département de terres agricoles  disparait tous les dix ans

Aujourd’hui, même si les critiques autour de ce mode de vie urbain sont plus nombreuses,  selon Guillaume Faburel, la ville reste à la fois le poison et le remède. Au sein de la pensée dominante, même si la vulnérabilité  de la ville est reconnue, elle reste, dans la représentation qu’on s’en fait, le lieu par excellence de la création, de l’intelligence collective, polarisant les ressources économiques.

Une ville verte, est-ce possible ?

Aujourd’hui, au lieu d’organiser une diminution du nombre d’habitants, d’encourager un aménagement du territoire différent, l’objectif est de mettre du vert et de la nature dans les villes : forêts urbaines, oasis fraicheur, agriculture urbaine…

Même si ces mesures peuvent atténuer un peu l’impact du changement climatique, améliorer une certaine qualité de vie, elles ne changent pas les causes profondes des désordres environnementaux dont l’urbanisation fait partie.

L’agriculture urbaine peut permettre de sensibiliser et éveiller aux thématiques agricoles mais elle ne nourrira pas la planète.

Vivre à la campagne serait-il plus polluant que de vivre en ville ?

Nous entendons régulièrement que de vivre à la campagne pourrait être plus néfaste pour l’environnement que de vivre en ville. Déplacement en automobile, pavillon individuelle utilisant plus de terrains…

Tout d’abord, les études ne sont pas si concluantes d’autant plus si nous prenons en compte d’autres mesures que le simple critère d’émissions de CO2.

Autre problème : ces comparaisons  sont basées sur nos modes de vie actuels. Nous pourrions encourager d’autres façons d’habiter dans les campagnes en favorisant par exemple les habitats partagés, des lieux écoconçus où chacun a son chez soi, mais où l’on mutualise divers aspects de la vie quotidienne : des jardins à la box en passant par les déplacements.  En France la coopérative Oasis, qui recense et aide   ces lieux à se développer, répertorie près de 1000 écolieux à travers la France. En moyenne, l’empreinte carbone d’un habitant des Oasis est deux fois moins élevée que celle d’un Français moyen…

Changer de modèle agricole est essentiel pour respecter la terre et réussir la transition écologique. Et si demain, en France,  nous passions totalement à l’agroécologie, une agriculture respectueuse du vivant, les emplois dans ce secteur augmenteraient de l’ordre de 30 %  voire 50 %. Il y aurait donc forcément plus de monde dans nos campagnes…

En moyenne, l’empreinte carbone d’un habitant des Oasis est deux fois moins élevée que celle d’un Français moyen…

Quelle taille de ville ?

Les différents spécialistes de ce sujet rappelle qu’il n’y ni taille ni densité idéale, cela dépend de chaque territoire.  L’essentiel serait d’organiser un territoire, avec des communes de taille variable et complémentaire, permettant d’être au maximum autonome d’un point de vie énergétique et alimentaire. Gilles Billen est directeur de recherche émérite au CNRS et  biogéochimiste territorial. Il insiste sur le fait qu’une ville n’est par essence pas autonome. Cependant,  Si l’agroécologie était généralisée, la spécialisation des territoires sur quelques denrées serait alors supprimée. En région parisienne, au lieu de cultiver en grande majorité des céréales, il faudrait diversifier en réintroduisant par exemple l’élevage. Cette diversification renforcerait l’autonomie.

Si l’on veut tout de même se prêter au jeu de la taille idéale d’une ville, d’après plusieurs chercheurs, autour de 30 000 habitants en France serait une bonne jauge maximum afin de respecter la terre et l’humain.

L’association Cittaslow, le réseau mondial des villes lentes, des villes où il fait bon vivre,  met elle,  la limite à  50 000 habitants en Europe, seuil  établi afin de pouvoir respecter  un système de démocratie directe.

Il n’est pas forcément intéressant de vouloir tout mesurer. La beauté et le charme d’un lieu est difficilement modélisable…

Pierre Beaudran, ancien maire de Mirande et responsable de Cittaslow en France insiste sur la qualité de vie. Au sein de ce réseau, Il n’y a pas que les énergies renouvelables et les émissions de CO2. A Mirande, une des premières villes à avoir été labélisée Cittaslow, la cohésion sociale et l’hospitalité sont également encouragées, avec par exemple des résidences où vivent personnes âgées, personnes en activité, des lieux où la mixité sociale et générationnelle est promue.

Les innovations sociales -ces façons de s’organiser différemment plus respectueuses  de la terre et de l’humain, sont rarement été initiées à Paris, mais justement au sein de territoires moins denses, moins chers, où l’être humain a plus d’autonomie et de liberté pour inventer d’autres façons de vivre…

Juliette Duquesne

Informer rigoureusement prend du temps. Chaque chiffre, chaque donnée doivent être vérifiés et sourcés. Or il n’est pas facile de trouver un modèle économique permettant de réaliser des enquêtes journalistiques de longue haleine et d’en garantir tout à la fois l’indépendance. C’est pourquoi nous avons recherché des soutiens avec lesquels nous partageons cette valeur commune.

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